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Janvier

2023








L’expérience de l’atelier Madoura à Vallauris

Les céramiques peintes par Victor Brauner dans les années 1950

Au printemps 1953, Victor Brauner est à Golfe-Juan, installé à l’Hôtel du Golfe. 
Par l’entremise de Jacqueline Lamba, Brauner fait la connaissance de Picasso, qui a déjà découvert dans l’atelier de Suzanne et Georges Ramié à Vallauris, des possibilités d’expression nouvelles autour de la céramique. L’atelier Madoura a ainsi commencé de produire, en petites séries, une grande variété de pièces en terre cuite décorées par Picasso, qui semble prendre un grand plaisir à s’exercer sur ce nouveau terrain de création.
Il conduit Victor Brauner à lui emboiter le pas pour découvrir le potentiel de la peinture sur terre cuite. 

Vallauris jouit d’une longue tradition de la céramique. L’important atelier des Massier, actif dès le XVIIIème siècle, s’y était par exemple implanté, comme d’autres, d’abord en raison de la qualité de la terre que l’on trouvait à proximité. Sous l’impulsion notamment de Delphin et Clément Massier, au début du XXème siècle, l’entreprise s’était mise à produire des pièces artistiques à la renommée internationale qui avaient supplanté les simples poteries culinaires artisanales. Cependant la récession économique des années 30 mettait un frein à la prospérité de cette entreprise. 

Vallauris aura l’occasion de se distinguer à nouveau sur la scène artistique internationale au travers de l’atelier Madoura, notamment grâce à Picasso, qui entraîne aussi dans son sillage dans l’atelier des Ramié plusieurs peintres comme Marc Chagall, Henri Matisse ou justement Victor Brauner.

Dans le sillage de Pablo Picasso à Vallauris

L’influence de Picasso est palpable dans ces pièces mais comment Brauner, si attentif aux événements extérieurs, aux conditions du réel, qu’il savait d’ailleurs transfigurer dans ses toiles, comme un magicien, aurait-il pu manquer de découvrir ce qu’il y avait de sensiblement universel et humain dans le génie de Picasso? S’il le considérait comme un « grand homme », c’est probablement en grande partie pour la certitude de ses réalisations et encore pour l’intelligence de son langage : une voix puissante et unique, qui vrombit une mythologie entêtante et hautement signifiante, ancrée dans un passé universel, une expression dont la force le dépasse inévitablement.

Quelle que soit la différence formelle de l’approche, Brauner ne s’est probablement pas senti étranger à ce mystère.
Lorsqu’à son tour, il s’empare des poteries de Vallauris, les exemples qui nous en sont parvenus nous apprennent qu’il semble avoir préféré aux pièces de formes peindre sur de plus sobres plats ou assiettes. Ces pièces sont toutefois assez différentes quant à leur taille, leur épaisseur, la finition de la terre qui les compose, variant ainsi les supports de l’expérience.
Un souci de la symétrie, qui parcourt l’ensemble de l’oeuvre picturale de Brauner, s’inscrit ici dans les motifs choisis pour orner les formes arrondies de la vaisselle. Mais il est à peu près certain que Victor Brauner, peignant ces objets utilitaires, a davantage considéré leur dimension symbolique que leur valeur décorative. Comme la cire, la terre est un élément naturel, que l’homme a de tous temps associé à son mode de vie, à ses rituels de toutes sortes. Modelable à loisir, la terre se charge d’une profonde mystique, la céramique culinaire a fortiori.

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L'idée moderne du sacré chez Brauner

Alain Jouffroy évoquait pour qualifier l’art de Victor Brauner, « une idée moderne du sacré » (Alain Jouffroy, « Une révision moderne du sacré », XXème siècle, n°24, 1964). 
Ces peintures sur céramique ne sont bien sûr pas sans évoquer les vases grecs à figure noire ou rouge du monde antique, qui servaient aux libations, aux banquets ou autres cérémonies et sur la panse desquels se déroulaient des décors mythologiques qui atteignaient parfois une grande complexité. 
À l’aide de motifs plus simples et peu combinés, qui semblent emprunter à la fois au répertoire des décors pariétaux, aux dessins des hiéroglyphes égyptiens ou à l’art des civilisations extra-occidentales, Victor Brauner dévoile lui aussi une certaine mythologie, qui tinte comme un héritage du surréalisme qui l’avait mis à la porte quelques années auparavant (pour avoir pris le parti de Matta, Brauner est exclu du groupe par André Breton en 1948). 
En dépit de cette éviction, Victor Brauner continuera comme il l’avait toujours fait à prêter attention aux hasards, aux signes, aux prémonitions et à tous les mystères invisibles mais perceptibles de cette vie, portant mieux que personne dans son oeuvre jusqu’à sa disparition en 1966 les stigmates de l’esprit des surréalistes, jusque dans ses plus intimes contradictions.

Voir les céramiques de Victor Brauner présentées par la galerie à l'occasion de la BRAFA 2023