Salvador
DALI

(1904 - 1989)

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Oeuvre indisponible à la vente, elle a été proposée dans le cadre des expositions "BRAFA 2022" , "Fine Arts Paris & La Biennale 2022"

Le rêve de Vénus, 1939

Huile sur toile contrecollée sur carton, signée et datée 1939 en haut à droite
40.50 x 50.50 cm

Projet pour un tableau vivant pour le pavillon Dream of Venus (Rêve de Vénus) pour la World's Fair de New-York, 1939

Provenance : 
Ancienne collection Comte Alain Chenon de Leche, Paris, 1939
Vente, étude de Me Tabutin & de Dianous, Marseille, 11 mars 2000
Collection particulière, Sud de la France

Expositions : 
Salvador Dalí, Casino Communal de Knokke-le-Zoute, 1er juillet - 10 septembre 1956, sous le n°39. 

Certificat établi par Monsieur Nicolas Descharnes pour les Archives Descharnes. 

 

En juin 1939, Dali imagine pour la World’s Fair de New-York une oeuvre surréaliste sous la forme d’un entier pavillon, une architecture donc, éphémère et interactive, baptisée The Dream of Venus (Le rêve de Vénus). 

Sur la façade baroque de l’édifice, une Vénus de Boticelli trône aux côtés de sculptures de sirènes, tandis qu’une tête de poisson servait de guichet d’entrée, surmonté d’une paire de jambes écartées. À l’intérieur, les visiteurs étaient plongés dans un univers onirique d’installations parmi lesquelles deux piscines qui accueillaient un spectacle aquatique de naïades dénudées et une chambre dans laquelle on regardait Vénus dormir. 

Peu de temps auparavant, une exposition à la galerie Julien Levy de New-York (du 21 mars au 18 avril 1939) avait été organisée comme un prélude au grand coup d’éclat surréaliste que fut le pavillon de l’Exposition Universelle, qui devait faire mieux connaitre le surréalisme Français outre Atlantique et qui a en réalité constitué l’une des premières installations de l’histoire de l’art. 

Entre attraction populaire de fête foraine, théâtre, architecture, peinture et danse, le Pavillon du Rêve de Vénus se voulait être une véritable expérience artistique immersive. 

Le tableau que nous présentons, illustrant la chambre de Vénus, témoigne de l’aventure américaine de Salvador Dali et de l’évolution de sa pratique vers un art contemporain tel qu’on l’expérimentera après la guerre dans la seconde partie du XXème siècle. 
Provenant d’une collection particulière, il a anciennement appartenu au vicomte Alain de Léché. 
 

La "Déclaration d’indépendance de l'imagination et des droits de l'homme à sa propre folie" 

L’intervention de Salvador Dali dans le cadre de la World’s Fair de New-York en 1939 est l’occasion pour l’artiste d’affirmer haut et fort l’indépendance de son statut. 
Aucun jugement d’aucune sorte, ne devrait, selon lui, se placer au-dessus de la poétique imaginative de l’artiste, garantissant ainsi l’indépendance de la création.

Au moment où le comité d’organisation de la Foire lui interdit d’ériger à l’extérieur du pavillon un corps de femme à la tête de poisson, Dali, qui ne décolère pas, fait imprimer des tracts pour défendre « l’indépendance de l’imagination et des droits de l’homme à sa propre folie », défendant un droit purement poétique et imaginatif comme universel et fondamental.
Il s’en réfère à la mythologie grecque, qui ne s’est pas privée de créer des femmes à queues de poisson et autres hommes à têtes de taureaux. 

"Toute idée authentiquement originale, se présentant sans 'antécédents connus', est systématiquement rejetée, édulcorée, malmenée, mâchée, remâchée, vomie, détruite, oui, et même " pire - réduite à la plus monstrueuse des médiocrités. L'excuse avancée est toujours la vulgarité de la grande majorité du public. J'insiste sur le fait que c'est absolument faux. Le public est infiniment supérieur aux ordures qu'on lui sert quotidiennement. Les masses ont toujours su où trouver la vraie poésie. Le malentendu s'est produit entièrement à cause de ces "intermédiaires de la culture" qui, avec leurs grands airs et leurs chants supérieurs, s'interposent entre le créateur et le public. »

Dali interpelle ensuite les artistes américains afin de propager cette revendication.
Cette intervention politique illustre bien la position qu’entend tenir Dali en tant qu’artiste, à la fois en marge de la société, tout en s’y infiltrant, jouant parfois de ses codes pour mieux s’en défier.

 

Le Pavillon Dream of Venus 

S’il ne nous est pas parvenu de plan du pavillon Dream of Venus, cette architecture éphémère réalisée par Dali pour la World’s Fair de New York en 1939, des reportages photographiques et de nombreuses descriptions l’illustrent assez précisément, nous permettant de la reconstituer. 

On accédait à l’intérieur du pavillon en passant sous deux colonnes que constituaient des jambes féminines écartées. Une tête de poisson placée entre elles servait de guichet d’entrée. 
Un aquarium géant dont les parois figuraient une cité en ruines, était garni de différents objets insolites tels qu’un piano avec un mannequin formant clavier, un combiné de téléphone en suspension… Dans l’eau, des sirènes évoluaient à demi-nues.
On circulait à pied le long de cet aquarium comme déambulant dans un rêve.

Un autre décor venait ensuite, une « zone sèche », reprenant des motifs chers à Dali : des montres molles, une girafe en feu, des mannequins surréalistes faits de divers objets… Ce long décor peint se trouve aujourd’hui conservé au Hiroshima Prefectural Art Museum au Japon.
Près de la reconstitution en trois dimensions d’un tableau de Magritte, s’étalait au sol le lit de Vénus, un lit de 11 mètres de long. 
Une femme nue y était allongée, couverte jusqu’à la poitrine. Une image inspirée de La Vénus endormie de Giorgione (1508-1510),  tableau retravaillé par Le Titien après sa mort. 
Dans le fond, un miroir. Au plafond, des parapluies ouverts.
À côté du lit, une jeune femme mettait son doigt sur sa bouche pour demander au spectateur de faire silence lorsqu’il passait devant le lit où Vénus dormait. 

La promenade s’achevait par une installation que Dali avait déjà présenté à l’Exposition Internationale du Surréalisme à Paris en 1938 : un taxi pluvieux, véritable véhicule à l’intérieur duquel la pluie tombait.

Vénus endormie nous faisait pénétrer dans son rêve que l’on pouvait parcourir à pas de loup, à condition de ne pas l’éveiller. Le spectateur avait ainsi une double position : voyant rêver le dormeur, il accédait aussi à l’intérieur de son esprit, à son subconscient et à son intimité profonde, entremêlant ainsi rêve et réalité, confondant leur essence.

 

Le tableau Le rêve de Vénus 

Le tableau que nous présentons est donc une oeuvre préparatoire à la conception de ce pavillon de Vénus. Plusieurs images éminemment surréalistes et familières au langage de l’artiste se combinent dans cette oeuvre. 

Le long lit tout d’abord qui apparait chez Dali dès 1930 dans le cadre de l’illustration d’un recueil de poésies de René Char, Artine, comme pour figurer, par une inédite longueur, la quantité de rêves qui se succèdent au cours du sommeil.
Les cyclistes ensuite, image obsédante, qui pourrait représenter, selon le spécialiste de Dali, Nicolas Descharnes, les bureaucrates moyens. Ceux contre lesquels il s’érige justement dans son pamphlet publié pour défendre les droits à l’indépendance de l’imagination. Portant sur la tête une pierre en équilibre, ils vont absurdement dans la vie, se conformant à d’imbéciles prescriptions qu’ils s’appliquent à faire respecter.
Les torses féminins nus s’apprêtant, armés de face-à-mains, sont un motif répété dans le fond de la composition, remplacé dans l’installation finale par un miroir.
Une chimère, structure molle et caoutchouteuse, s’érige sur fond de caverne dégoulinante. Une béquille et un téléphone, objets durs chers à l’artiste, se mêlent aux structures molles qui les soutiennent, dans une inversion de valeurs.
Le corridor de Palladio est un autre élément caractéristique de la convocation de l’inconscient, avec son pavage de tiroirs et cet alignement de femmes offertes en jarretelles, véritable couloir de maison close.


Sans doute ce tableau préparatoire révèle-t-il pour l’édification du Pavillon de Vénus des ambitions que Dali n’a pu mener à terme pour des raisons essentiellement financières. Des tensions se sont en effet très vite fait sentir entre l’artiste et le financier principal du projet, M. W. Gardner, obligeant Dali à des concessions, certes dénoncées mais pour autant subies dans le cadre de la création de ce projet, où la démesure surréaliste de l’artiste s’est inévitablement heurtée à des considérations plus terre à terre.