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Mars

2020








Dans l'intimité des peintres : Auguste CHABAUD

Auguste Chabaud, Noctambule et poète

Cette deuxième publication, issue de notre série spéciale "Dans l'intimité des peintres", est consacrée à Auguste Chabaud, tout particulièrement à ses liens avec Yvette, prostituée et muse de sa « période parisienne », tandis que le jeune peintre se perd dans les brouillards nocturnes de la capitale. Monique Laidi-Chabaud, petite-fille de l’artiste et directrice artistique du Musée Auguste Chabaud de Graveson, a bien voulu répondre à l’invitation que nous lui avons transmise.

Auguste Chabaud alternera ses séjours entre Paris et Graveson de 1907 à 1912. Il s’installera au pied du Sacré Cœur à Montmartre, plus précisément dans la rue Muller. Il va dépeindre comme beaucoup de ses contemporains le milieu des maisons closes et ses protagonistes qui depuis « l’Olympia »  d’Edouard Manet en 1863 et les tableaux de Toulouse Lautrec se répandaient dans les arts plastiques.

La fréquentation des prostituées et leur représentation étaient considérées comme provocatrices et comme la profession de valeurs anti-bourgeoises, avec  la revendication d’une liberté face à l’académisme. Les filles de rue qui devenaient modèles permettaient aux artistes de s’échapper des ateliers pour travailler le nu ou autre. 

Le séjour parisien d'Auguste Chabaud

La rencontre emblématique du séjour parisien d’Auguste Chabaud sera celle d’Yvette, figure tragique de la prostitution que l’artiste va aduler et stéréotyper. Yvette sera sa providence. Celle qui va le sortir de ce marasme moral. Elle sera sa consolatrice, celle qui l’apaisera de ses profonds tourments.

Il fera sa rencontre dans une modeste maison close au nombre limité de pensionnaires, située au N° 6 de la rue Grégoire de Tour. Il exécutera une multitude de dessins d’elle à la plume ou au crayon et de très belles peintures. Un recueil de poésies sentimentales rédigé à l’époque de sa rencontre nous évoque la personnalité de la jeune femme à la beauté très baudelairienne.  

Mais au fil du temps, son visage prendra les stigmates de la maladie qui va rapidement la conduire vers une fin tragique. Yvette est tuberculeuse. L’artiste la représentera souvent avec un visage amaigri, proche de la caricature, semblable à un masque africain aux traits anguleux et aiguisés. Son  regard est empreint d’hallucination morbide, d’érotisme, de sensualité tragique qui fera d’elle une figure de compassion et d’attendrissement. Parfois elle se fait agressive tant l’exagération de ses traits dramatisés font d’elle une figure répulsive, ensorceleuse et hostile au regard. Il nous la représente dans sa dramatique condition, son expression souffrante, plus attendrissante que provocante, dans une sorte de maigreur maladive, frêle buste droit, sur lequel il porte un regard tendre plein d’empathie plus que de désir. Yvette ne sourit jamais, son visage demeure grave, figure de son implacable condition et destinée fatale.

Yvette va jouer un grand rôle sentimental dans la vie de l’artiste. Chabaud lui consacre plusieurs poèmes. Il faut dire qu’à côté de la peinture, il s’est toujours adonné avec plaisir à l’écriture. Quatre ouvrages dont il est l’auteur ont d’ailleurs été publiés dans les années 1920 : l’Estocade de vérité (1925), Poésie pure, peinture pure (1927), Le Tambour Gautier (1928) et Taureau Sacré (1928). Cependant la famille de l’artiste a aussi conservé un très grand nombre d’écrits non publiés, parmi lesquels un émouvant recueil de poèmes composés au temps de sa jeunesse, Poésies de la Période sentimentale (1900 -1913), dont nous avons extrait les deux passages suivants :

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Les oeuvres de la période parisienne de Chabaud sont longtemps restées dissimulées

Les œuvres de cette période parisienne et notamment celles d’Yvette, ont été volontairement dissimulées par l’artiste à l’étage de son atelier. Ceci très certainement pour les éloigner du regard de sa mère, réagissant ainsi contre le rigorisme protestant de sa famille, puis plus tard de sa femme  et de ses enfants. 

Ne cherchait il pas également à protéger le visage d’Yvette des regards médisants et moralisateurs ? Comme s’il voulait après la mort lui être encore fidèle sentimentalement et la protéger des regards censeurs, indécents et critiques ? Il serait certainement heureux de voir que celle qu’il a profondément aimée, qui l’attendrissait dans son quotidien de misère, est adulée de nos jours par un fervent public, sortie de l’ombre pour rayonner dans la lumière dans une gloire éternelle, dans les plus grands musées du monde.

Texte de Monique Laidi-Chabaud