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Avril

2020








Dans l'intimité des peintres : Alfred LOMBARD

Le secret de la malle d’Alfred Lombard

Pour cette troisième communication, Giulia Pentcheff, qui a publié au mois de septembre dernier un ouvrage consacré au peintre Alfred Lombard, a souhaité partager la découverte du contenu d’une malle qui a appartenu à l’artiste, précieusement conservée par ses héritiers.

« Dans le cadre des recherches que j’ai pu mener sur le peintre Alfred Lombard, j’avais depuis longtemps entendu parler par la famille de l’artiste de l’existence d’une malle emplie de correspondances, qui n’avait pas été ouverte depuis des lustres.

C’est une malle aux trésors comme on en trouve rarement qui m’attendait chez la petite-fille d’Alfred Lombard. Demeurant pourtant au cœur de l’appartement, comme un objet qui est depuis longtemps à sa place mais ne connaît plus son utilité, elle n’avait pas été ouverte depuis des années, trop lourde de souvenirs de famille...

Une belle malle de voyage en cuir, de la maison Louis Vuitton. Marquée aux initiales JR, elle avait probablement appartenu à Jules Rivoire, l’oncle maternel du peintre, mort avant la Première Guerre.

Avant même de l’ouvrir, j’en admirais tous les détails et cette inimitable patine des choses qui ont longtemps voyagé et vécu. 

Quelques photographies, que je ne pensais pas partager avec quiconque et qui avaient plutôt été faites à titre documentaire, témoignent du jour de l’ouverture de cette malle. Moment émouvant et exaltant tout à la fois, qui nous plonge dans l’intimité de ceux qui ne sont plus, mais dont on a la faiblesse de croire que nous les aimons assez pour ne pas être importun à leurs souvenirs.

La malle déborde d’un grand nombre de courriers, certains adressés au peintre par ses parents, ses amis, d’autres adressés à sa femme Armande ou à leur fille Claude, récipiendaire de cette malle au décès de ses parents. 

Certains échanges sont formels, traitant par exemple d’affaires juridiques en cours, d’autres sont plus intimes : cartes postales des enfants en vacances avec leur mère écrivant à Alfred resté à Paris, lettres des parents, cousins aux divers degrés venus prendre des nouvelles… Des photos aussi : des images ambrées du port de Marseille au temps du transbordeur, probablement prises depuis l’atelier du peintre, Lombard posant en poilu, Armande arrangeant des fleurs dans un vase, les enfants à l’âge de leurs premiers pas. 

Des photos plus anciennes encore, et, sur celles-ci d’ailleurs, en l’absence de toute indication au verso, on ne sait plus très bien, dans l’arbre généalogique, où placer cette femme, cet homme de l’avant-dernier siècle… 

Les reliefs de ces vies passées se sont accumulés dans cette malle, les souvenirs des générations se succédant comme les strates d’une roche familiale, chacune reposant sur la précédente sans que la surface en conserve pour autant la trace visible.

Parmi toutes ces lettres, ces documents épars à classer d’abord par génération, se trouvait un singulier et conséquent ensemble de courriers qui attirait l’œil : la correspondance échangée pendant la Première Guerre par deux amoureux fous, qui souffrent de n’être pas réunis, Lombard et Armande, sa future femme.

Tout le temps de la mobilisation de l’artiste, hors les rares moments où ils purent être ensemble, les deux amants se sont écrit, passionnément, presque chaque jour et ces échanges demeurent, émouvant témoignage de leur attachement.

Tandis qu’il est par exemple dans la Marne, Alfred Lombard écrit à Armande le 21 octobre 1915 :

« A part quelques entêtés, nous avons été obligés d’enlever à nos camions l’affectation de chambres à coucher. Nous reposons parfaitement dans l’étable dont je te parlais plus haut, sur des châssis de bois supportant une toile tendue qui fait sommier, le tout portant sur deux caisses d’essence, une à la tête et une aux pieds. Les plus favorisés se sont installés sur des couchettes de paille dans des auges abandonnées. Les ronfleurs ou les rats de temps en temps animent la nuit et sont l’objet de représailles. Nous devons nous estimer bien heureux d’avoir un confort relatif aussi appréciable. Il y en a tant qui donneraient beaucoup pour pouvoir coucher sur la terre dure mais sèche. 

Je ne te dirai rien des événements actuels, je m’en dis le moins possible à moi même et je te conseille comme bonne hygiène morale d’en faire autant. 

Le jour, la nuit, je pense à toi, tu es avec moi, derrière mes yeux ou dans mes rêves. Ceux-ci sont de plus en plus remplis d’actions imaginaires où ton cher visage revient sans cesse. Je compte presque maintenant, le soir avant de m’endormir, sur ces rendez-vous qui sont à peu près les seuls moments d’oubli heureux où la vie est telle pour nous que nous l’avons toujours voulue. 

Quelle ardeur, mon Armande, je mets dans ces mots, je t’aime, je t’aime, et que je voudrais que tu m’entendes les dire maintenant, les dents serrées, les yeux perdus, là-bas, vers toi.

Ma chérie… 

Mes lèvres.

Alfred »

Peut-être avez-vous conservé dans votre famille une telle malle, emplie des souvenirs de ceux qui depuis longtemps ne sont plus et qui matérialise leur souvenir d’une façon si vivante… Il m’a toujours semblé qu’un tel objet était un trésor inestimable, comme une forme occidentale d’autel aux ancêtres, une preuve tangible de leurs existences, des liens qu’ils entretenaient entre eux, des sentiments qu’ils ont pu, comme nous, éprouver.

Peut-être avez-vous gardé une maison de famille aux vieux murs, et peut-être même avez-vous fait le choix d’y vivre, au moins en pensée, cette période étrange de confinement, enfoui sous cet édredon de l’enfance qui réchauffe et rassure. »

Giulia Pentcheff

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