Baldaccini
César

(1921 - 1998)

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Oeuvre indisponible à la vente

Le Centaure, hommage à Picasso, 1983-1987

Bronze, fonte Bocquel numérotée 5/8. 101 x 105 x 48,5 cm.

Provenance : 
Collection particulière, France. 

Répertorié dans les archives de Madame Denyse Durand-Ruel.

 

Le Centaure. Hommage à Picasso
Picasso domine le panthéon des figures tutélaires de l’artiste. Giacometti, Brancusi, avaient impressionné le sculpteur par la conviction de leurs conceptions formelles, mais Pablo, c’est le génie de la matière, intuitivement à l’aise au contact de n’importe quel matériau, de n’importe quelle substance malléable disponible. César aurait aimé lui ressembler, et même physiquement, il l’affirmera. Il lui envie son incroyable puissance virile, tant dans la création artistique que dans ses rapports avec les femmes, un magnétisme animal inénarrable. Picasso n’est pas humain, c’est un mythe. C’est ainsi que César s’empare de l’image du Centaure, alliant la force animale à l’intelligence humaine, pour figurer le Maître. Le conservateur du musée Picasso d’Antibes avait lancé, peu après le décès de l’artiste, une grande initiative sollicitant la participation de plusieurs plasticiens contemporains, qui prévoyait une célébration de l’héritage de Picasso au travers de la réalisation d’œuvres, sous forme d’hommage.
Cependant, les fonds peinent à être rassemblés et ce n’est que sous le ministère de Jack Lang, en 1983, que
l’entreprise sera relancée. César fait partie des sculpteurs choisis, une commande publique lui est passée. Dès l’initiative émanant d’Antibes, César avait en fait multiplié les projets, le Centaure s’imposant rapidement à son esprit comme capable d’endosser l’incarnation du surhomme. Une petite esquisse préparatoire de 70 cm de haut environ est rapidement prête, mais lorsqu’il s’agit d’envisager la fonte pour préparer une sculpture monumentale... rien ne va plus : « J’ai d’abord fait une esquisse de 0,73 cm de hauteur mais, lorsqu’à la fonderie il a fallu changer d’échelle pour faire une statue de 5 m de hauteur, les problèmes ont surgi. Les pinceaux qui servaient de queue au petit Centaure devenaient des balais à grande échelle, il a fallu les remplacer par une pelle, un râteau. Puis c’est le poitrail qui n’allait plus, ensuite la jambe qui paraissait trop courte... ».

L’année suivante, un second état préparatoire est mis au point par César, d’une hauteur d’un mètre cinquante environ, avant que l’œuvre ne soit fondue, par Régis Bocquel, en 1985. Les cinq tonnes de bronze sont alors provisoirement installées sur le parvis du Grand Palais pour l’inauguration de la FIAC en octobre 1985, avant de rejoindre le parc de la Fondation Cartier à Jouy-en-Jossas. L’Hommage à Picasso sera finalement, de manière définitive, attribué au carrefour de la Croix-Rouge, dans le sixième arrondissement parisien, dominant la place
Michel Debré de ses presque cinq mètres de haut, rare statue équestre du XXème, ce « premier siècle « non équestre » de l’humanité ». César s’y figure lui-même en Centaure affublé d’un masque visière à l’effigie de Picasso ; la colombe de la paix, chère au maître, accueillie dans le creux de sa main comme un héritage infiniment précieux, puissant et fragile en même temps. Du torse de l’homme, des entrailles du cheval, jaillissent une multitude d’éléments hétéroclites et menaçants, tandis que la croupe semble anormalement lisse et polie, terminée en forme de queue par des éléments inflexiblement dressés, qui perpétuent cette rigidité agressive. Eminemment phallique, cette sculpture propose de voir dans l’élan créateur souverainement incarné par la figure de Picasso, la fécondité de la vie elle-même, à travers l’illustration de cet hybride outrageusement sexué. Sorte de testament avoué du sculpteur, le Centaure revêt une importance particulière dans son œuvre, c’est la raison pour laquelle l’une des versions de ce modèle sera choisie pour sceller sa tombe au cimetière Montparnasse.

César à propos de son Centaure :

"L'oeuvre se devait d'être sans artifice mais avec des courbes gracieuses, souples et légères. Mon Centaure se voulait abstrait mais vivant, harmonieux mais sobre, la démarche lourde mais silencieuse, serein mais énigmatique, magique mais réaliste. Les formes doivent être claires, aérées, raffinées. 
S'il faut synthétiser certaines formes, je ne dois pas pour autant trahir les caractéristiques de l'animal : il doit être majestueux, puissant, à la pose constante et d'une grande présence. Les différentes parties du corps, avec leurs lignes en spirales ne sont ni symétriques ni régulières : elles présentent des plans discontinus qui s'articulent en un tout, dégageant une grande énergie. J'ai toujours été scrupuleux dans la transcription de l'anatomie. C'est là que l'on reconnait un grand sculpteur. Ma sculpture respecte les proportions su sculpteur athénien Polyclète."

“Le Centaure est le résultat abouti mais douloureux d'un long processus qui m'a valu bien des hésitations et des remises en questions. J'ai voulu aussi à travers ce monument faire passer mes émotions et mes sentiments, mes doutes, mes certitudes et aussi ma solitude alors que j'arrivais à l'automne de ma vie. Combien de fois j'ai du prendre la ”bonne distance" pour m'échapper de moi-même, me perdre de vue et revenir avec une nouvelle vision ; au total j'ai mis trois ans à faire et à défaire toutes les parties du Centaure. A travers cette sculpture, j'ai cherché à atteindre la perfection comme une sorte d'immortalité. C'est mon oeuvre fétiche dont je garde près de mon lit un modèle en bronze comme fidèle compagnon qui partage les moments les plus intimes de sa vie."

Propos de César repris dans Jean-Charles Hachet, César ou la métamorphose d'un grand art, Editions Varia, Paris, 1989.