Armand
GUILLAUMIN

(1841 - 1927)

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Oeuvre indisponible à la vente, elle a été proposée dans le cadre des expositions "BRAFA 2022" , "EXPOSITION INAUGURALE AU PAVILLON DE LA REINE JEANNE" , "FAB 2023"

L'île de Besse à Agay, 1895

Huile sur toile, signée Guillaumin en bas à droite, située et datée "Agay Mai-Juin 95, 7H Le soir" sur le châssis.
73 x 91.80 cm

Provenance : 
Ancienne collection Eugène Blot, France
Collection privée, Sud de la France

Bibliographie :
Tristan Klingsor, “Armand Guillaumin” dans Art et Décoration, T.50, juillet 1926, tableau reproduit en p.190.

Attestation d'inclusion au catalogue raisonné de l'artiste en préparation établi par le Comité Guillaumin. 

 

LE PLUS FAUVE DES IMPRESSIONNISTES

« On discute encore sur le point de savoir si l’on doit classer Armand Guillaumin parmi les maîtres de l’impressionnisme. » 
En juillet 1926, ce point de discussion ouvrait l’article de Tristan Klingsor consacré à l’artiste dans la revue Art et décoration, qu’une reproduction de notre tableau illustrait (c’est ici que l’on apprenait que cette oeuvre appartenait alors au peintre Eugène Blot).
Sur la question de l’impressionnisme, Guillaumin est bien de la génération des maîtres qui ont donné son nom au courant. Né à une année d’écart seulement de Monet et deux de Sisley, il partage l’année de naissance de Renoir. À l’académie Suisse où il suit des cours du soir, il fait sa connaissance ainsi que celle de Pissarro, un peu plus âgé qu’eux.
C’est de ce dernier qu’on le rapproche plus volontiers, considérant que leur vision du paysage présente de communes caractéristiques. 
C’est d’abord en proche banlieue parisienne que Guillaumin va chercher ses motifs. Il faut dire qu’il dispose alors de peu de loisirs puisqu’il occupe un poste d’employé de commerce, assistant son oncle dans sa boutique d’articles de lingerie féminine jusqu’au début des années 1860. 
Puis, il est employé au bureau des chemins de fer d’Orléans jusqu’en 1867 avant d’officier au service des Ponts et Chaussées, ce qui lui permet de peindre plus souvent sur les rives de la Seine. 

Entre 1884 et 1886, il peint aussi en Essonne, à Damiette près d’Orsay et va chercher les effets de l’océan à Saint-Palais-sur-mer, non loin de Royan. 
En 1887, à l’occasion de son mariage, Degas et son très proche ami Paul  Gauguin, sont ses témoins. Il connait aussi Cézanne, les frères Van Gogh.  En 1892, il quitte enfin tout emploi subalterne pour pratiquer plus librement la peinture. Une somme d’argent conséquente gagnée l’année précédente à la loterie lui aurait permis de s’y consacrer, tout au moins le lit-on parfois.  Dès 1906, il expose chez Bernheim et en 1908 à la galerie Rosenberg.  Il découvre Agay en 1895 avant de se rendre, toujours à la conquête du  paysage, en Bretagne, en Auvergne, dans le Forez puis, sur les conseils  de l’un de ses amis peintres, à Crozant dans la Creuse, où il se fixe assez  durablement, y trouvant un contrepoint apaisant à la Méditerranée.  À Agay, où il peint régulièrement, c’est la violence des contrastes qui le prend.  Ce vieux massif de l’Estérel, amas volcanique de l’ère primaire, tient sa  couleur peu commune à la rhyolite amarante, la roche qui le constitue, très  riche en phénocristaux. 
La perception des roches, plongeant dans la mer, est ainsi très différente selon les conditions atmosphériques et les heures de la journée. D’un rose orangé variable en intensité depuis le point du jour, elle rougeoie fiévreusement  lorsque tombe le soir.  

C’est évidemment l’instant favori des peintres et des photographes, saisissant l’intensité du contraste irréel entre l’orange vif qui émerge et le bleu outremer des eaux de la Méditerranée. Des tableaux aux tons aussi violents et saturés que celui que nous présentons ont pu faire apparaître Guillaumin comme un familier des Fauves. Othon Friesz viendra d’ailleurs travailler à ses côtés dans la Creuse en 1901, s’inspirant de ses audaces. 
Pour autant, à Agay, les artistes ne peignent que ce qu’ils voient. Les roches flamboient véritablement sur la mer et tout comme celle de Valtat, sensiblement à la même époque, la palette de Guillaumin s’en fait le reflet fidèle, sans extrapolation. 
En réalité, sa démarche est toujours tout à l’impressionnisme. Au dos du châssis, l’artiste a consigné : Agay, mai-juin 95, 7h le soir, preuve s’il en est, de l’authenticité de sa démarche.

S’il a parfois été vu comme un précurseur du fauvisme, Guillaumin est probablement tout au moins le plus coloriste des impressionnistes, préférant en cela la leçon de Cézanne à celle de Degas. C’est sans doute aussi le plus moderne d’entre eux, osant non seulement la couleur mais aussi les cadrages subversifs. Ici, le cadrage est si serré que le ciel est relégué à une bande horizontale de quelques centimètres de hauteur, tandis que le premier plan vient s’écraser au visage du spectateur, ajoutant à la force des éléments, à la puissance colorée de l’ensemble. 

Guillaumin ne fut pas le plus connu parmi les impressionnistes. Aujourd’hui encore, sa reconnaissance est timide. Les critiques de l’époque attribuent ce défaut de réputation au caractère du peintre. 
Décrit comme un homme doux, discret, vivant volontiers à l’écart des coteries comme des conflits, dédicaçant et offrant la plupart de ses tableaux à ses amis puisqu’il n’avait, semble-t-il, pas besoin d’argent, il s’est également tenu à bonne distance du marché de l’art, bien qu’exposant régulièrement dans les galeries les plus prestigieuses et la plupart du temps aux côtés des impressionnistes. Ses fréquentations le placent au coeur de son temps et même aux avant-postes de la peinture puisqu’il n’hésitait pas à prodiguer ses conseils aux jeunes artistes qui lui semblaient avoir du talent, influençant nombre de ses cadets. 
Depuis sa mort pourtant, il lui a peu été rendu justice. Les institutions 
muséales ne se sont pas particulièrement inquiétées de l’artiste, seulement cité à propos dans des manifestations de groupe, et les expositions qui lui ont été consacrées relèvent d’initiatives privées, comme celle qui eut lieu à la galerie Gérard en 1941 ou à la galerie Lévy plus récemment, au début des années 2000. 
Armand Guillaumin est sans doute un peintre à redécouvrir, qui mérite sans conteste qu’on l’extirpe des oubliettes de l’impressionnisme dans lesquelles il a depuis longtemps injustement baigné.