Personnages sur la terrasse du Palais Longchamp, 1878
Huile sur toile, signée en bas à gauche.
54.50 x 130 cm
Provenance :
Collection privée, France
LE MONDE ENTIER À MARSEILLE
C’est un étrange rassemblement qui se joue ici, sous la colonnade du château d’eau du Palais Longchamp. Hétéroclite, comme si le monde entier s’y était donné rendez-vous, non seulement les élégantes bourgeoises en chapeaux et leurs petites filles, les hommes en frac et hauts de forme, de plus modestes gens, des membres du clergé, des fonctionnaires mais aussi des personnages orientaux, venus du proche, du moyen et du lointain orient, rappelant l’impor- tance coloniale de Marseille à cette époque et préfigurant en quelque sorte l’exposition coloniale internationale de 1906 qui marquera la ville. Sous les hauts fûts des colonnes, ces archétypes devisent, surprenants conciliabules. Au centre, un artiste, peintre ou écrivain, tout à sa tâche, est l’un des seuls personnages à nous faire face.
Lorsque ce tableau est peint, en 1878, la construction du Palais Longchamp est à peine achevée. Il a ouvert au public seulement neuf ans plus tôt, le 15 août 1869. C’est Henri Espérandieu, à qui l’on doit aussi la plupart des bâtiments emblématiques du Marseille du Second Empire (la cathédrale de la Major, Notre Dame de la Garde, le Palais des Arts...) qui en a supervisé la construction.
Au point où arrivent les eaux de la Durance par le canal de Marseille qui alimente la ville, il avait été décidé d’élever un monument commémoratif, un hymne à l’eau.
L’arrivée de l’eau à Marseille est en effet un événement, marquant l’aboutissement de gigantesques travaux, entamés dès 1838 sous la direction de Franz Mayor de Montricher. Près de 90 kilomètres de canal, tour à tour souterrain et découvert permettent d’acheminer l’eau de la Durance. Cinq-cents ponts et aqueducs jalonnent ce parcours. Plus de trente ans auront été nécessaires pour mener à bien cet ouvrage et alimenter la ville, réduisant ainsi les risques d’épidémies de choléra et permettant dans tout le bassin de développer l’agriculture, notamment maraichère, la production (cent usines sont ainsi approvisionnées), l’urbanisme (la ville triple sa population en peu de temps). C’est une véritable révolution, qui bouleverse tout le paysage et permet dans de multiples domaines l’essor de la cité phocéenne.
La réalisation architecturale qui lui serait consacrée se devrait donc d’être à la hauteur de cet apport considérable à la ville.
Autour d’un monumental château d’eau surmonté d’une colonnade circulaire, deux bâtiments se déploient, à l’intérieur desquels sont abrités, dans l’aile droite le Museum d’Histoire Naturelle et dans l’aile gauche le Musée des Beaux-Arts. C’est d’ailleurs au coeur du grand escalier menant à ce dernier qu’ont été placées deux célèbres compositions peintes par Pierre Puvis de Chavannes, Marseille, colonie grecque et Marseille, porte de l’Orient.
Le programme décoratif sculpté et peint est ambitieux, l’ensemble se veut être une construction marquante de son époque. Réalisé par Jules Cavelier, un immense groupe sculpté, allégorie de la Durance tirée par quatre chevaux de Camargue, se trouve au centre de la réalisation. D’autres sculptures sont exécutées pour le lieu, notamment des groupes animaliers réalisés par Barye ainsi qu’un Triton sonnant de la conque, que l’on doit à Eugène Lequesne et que l’on discerne ici, de dos.
Le parti pris de ce tableau est en effet assez surprenant puisqu’ayant choisi de se placer sous la colonnade, le peintre prend le monument à revers. Son sujet n’est pas le Palais en lui même, sa spectaculaire architecture, mais plutôt le symbole qu’il incarne, union de tous les marseillais autour de cette eau, salvatrice, et de ces travaux d’adduction modernes. Notre-Dame-de-la-Garde, que l’on distingue dans le fond, veille à cette concorde. La Méditerranée, que l’on aperçoit aussi, rappelle enfin tout ce que Marseille doit à la mer.