Alfred
LOMBARD

(1884 - 1973)

<

Nu au turban jaune, circa 1911

Huile sur toile, cachet en bas à droite.
146 x 97 cm

Provenance : 
Famille de l’artiste 
Galerie Najuma, Marseille 
Galerie Alexis Pentcheff, Marseille 
Collection privée, France

Expositions : 
Alfred Lombard, Redécouverte, Galerie Alexis Pentcheff, Marseille, 22 novembre - 20 décembre 2014, reproduit au catalogue d’exposition sous le n°4, p.16. 
Alfred Lombard, Couleur et Intimité, Musée Regards de Provence, Marseille, 13 mars - 23 août 2015, reproduit au catalogue d'exposition en p.9 et 52.

Bibliographie :
Giulia Pentcheff, Alfred Lombard, Galerie Alexis Pentcheff, Marseille, 2019, reproduit p.58 et sous le n°53 en p.179.

 

CORPS SUR DÉCOR

Le plus Fauve de nos marseillais, Alfred Lombard, est aussi sans doute l’un des moins connus. Sa vie, son oeuvre, sont pourtant passionnants. Figure majeure de la modernité en Provence, théoricien de la peinture murale, Lombard est l’un des artistes que la galerie a toujours ardemment défendus, jusqu’à lui consacrer une monographie, parue en 2019.

Issu de l’union de deux familles typiques de la bourgeoisie d’affaires marseillaise de la Troisième République, l’intransigeant et courageux jeune- homme s’était vivement opposé aux injonctions paternelles pour embrasser la carrière de peintre qui l’appelait, encouragé dans cette voie par un couple d’amis poètes, qui auront été le grand frère, la grande soeur bienveillants et formateurs, les piliers de son éducation artistique, Joachim et Marie Gasquet. Dans leur propriété de Fontlaure à Eguilles, il voit ses premiers tableaux de Cézanne, s’abreuve des albums de reproductions rapportés de Sienne, se nourrit de ces veillées poétiques où la voix de Joachim porte les espoirs vibrants de toute une génération, rencontre une communion de pensée et trouve enfin ce qui lui a tant manqué à l’abri de ce cocon presque familial d’émulation et d’encouragement artistique.

Porté par ce climat d’approbation et d’admiration pour son travail, il ose ses premiers envois à Paris. Il est admis au Salon d’Automne en 1905, l’année de la déflagration Fauve, sans même avoir fréquenté l’Ecole des beaux-arts, ayant préféré à un enseignement qu’il jugeait trop académique et dépassé, le compagnonnage vivant de l’atelier auprès du peintre marseillais Alphonse Moutte.

Avec les Gasquet et d’autres, comme l’ami Pierre Girieud, Lombard a le projet fou de créer à Marseille une structure qui serait susceptible de défendre la jeune peinture. La province est alors bien mal servie dans le domaine et si les jeunes peintres peuvent montrer leurs travaux dans la capitale, les régions sont exclues de ce type de manifestations.
Sous l’impulsion d’esprits éclairés, certaines tentatives comme le Cercle de l’art moderne du Havre ou justement, les Salons de Mai à Marseille, vont proposer à leur manière d’y remédier.
Précédées par le Salon de Provence en 1907, deux éditions de ces Salons de Mai auront lieu en 1912 et 1913, vite balayées dans leur perspective d’essor par l’imminence du conflit mondial.
Lombard avait pourtant tenté d’ouvrir une brèche dans sa ville natale, de frayer un chemin à l’art moderne, dans une perspective multidisciplinaire, accueillant à bras ouvert dans la cité phocéenne tout à la fois la peinture, la sculpture, la musique et la poésie, bien vivantes.

C’est de cette époque, celle d’avant le Premier conflit mondial, celle des audaces d’une jeunesse qui ne s’interdit rien, que date ce grand Nu à l’exubérance décorative affirmée.
Lombard comme les autres, déserte, à partir de 1910, des terres que le Fauvisme a épuisées par sa violence, pour se réfugier dans une interprétation plus nuancée, explorant la veine décorative.

En 1910, un grand tableau manifeste intitulé La Terrasse sur le Vieux-Port de Marseille (conservé au musée d’art moderne du Havre) avait initié ce glissement, des acidités mordantes dignes d’un Derain ou d’un Vlaminck qu’il avait pu mettre dans Le Vallon des Auffes (conservé au Musée des beaux- arts de Marseille) vers une composition, une palette, plus équilibrées.

Peu à peu, ses recherches, en particulier au service de la fresque et de la peinture murale, vont le conduire vers une « modernité classique », servie par son immense culture, en réaction au courant de l’abstraction qui se développe. Lombard se réfugie dans la tradition latine de ses origines, tente de réinterpréter son héritage méditerranéen à l’aune d’une expérience des temps modernes.
Il produit peu, théorise beaucoup, réfléchit son art, se refuse à toute compro- mission et même, après une exposition personnelle remarquée chez Rosenberg en 1914, puis chez Druet en 1925, refuse d’exposer son travail, de le soumettre à un quelconque marchandage; un idéal qu’il peut supporter en raison de sa condition privilégiée puisque sa fortune, d’origine familiale, le met à l’abri de l’insupportable contrainte de devoir gagner son pain quotidien, qui taraude d’autres peintres comme son ami Girieud (malgré l’aide financière que Lombard lui a souvent apportée).

Mais à l’heure de notre tableau, Lombard n’est pas encore le peintre solitaire qui construit patiemment ses toiles, quelquefois monumentales, étudiant de minutieux découpages, à la lumière de la verrière du grand atelier moderniste de Boulogne que l’architecte Pierre Patout a imaginé pour lui. C’est encore un jeune homme, tenté par les exubérances décoratives qui hantent aussi son ainé Matisse, sensiblement à la même époque.
Le corps nu, cerné - héritage des Fauves, se détache sur un fond complètement saturé de tissus aux différents motifs, accumulation visuelle sans doute destinée à mettre en valeur la nudité du modèle, la puissance de ce corps, fait d’un camaïeu d’ocres et roses qui s’émaille de verts par endroits. Le mo- delé est présent sans être classique, vibrant par la touche, les ombres vio- lentes faisant écho au cerne par lequel ce corps vit véritablement sur la toile.

Héritier des Fauves et moderne à sa manière, Lombard valorisera son hérédité méridionale, qu’il exploitera au fil du temps dans sa peinture de différentes sortes. Ce nu a été réalisée au cours d’une période charnière de sa carrière et témoigne d’un basculement d’orientation de l’artiste, qui s’engage au début des années 1910 sur une voie nouvelle, après les outrances inspirées du Fauvisme. Bientôt, Lombard va faire l’expérience de la fresque (dès 1912) et à compter de cette pratique, sa peinture de chevalet en sera bouleversée.